Je me présente, Pierre Prigent, doyen des Boulangers, Pâtissiers, Cuisiniers Français au Japon. D’origine Bretonne pour le père. Ce qui qui a dû me pousser a partit travailler à l’étranger. De retour d’un long séjour en Algérie pour mon service militaire. Je rentre à Paris en décembre 1967. Je retrouve une France dans tout ses états. Je décide donc de trouver une place de boulanger a l’étranger. Le syndicat qui se trouve au quai d’Anjou me propose 3 places. Deux au USA, Boston, Huston et la troisième au Japon. J’ai choisi la 3eme. Pour la raison que j’ai toujours été attire par l’Asie. Surtout après avoir vu les Jeux Olympiques de Tokyo à la télé. Et puisque la Terre est ronde en commençant par le bas, je n’aurais plus qu’à traverser le Pacifique pour continuer mon voyage au USA.
J’embarque pour Tokyo en Novembre 1968. Avec un contrat de travail et un visa d’un an renouvelable pour la Boulangerie Pâtisserie DONQ. Une maison assez récente qui demandait qu’a se développer. Avec a la tête M. Fuji Yuko un Japonais, qui adorait la France, son histoire et surtout sa gastronomie. Je remplacais, notre Ami et regretté Philippe Bigot, premier boulanger francais à travailler pour la maison DONQ et arrivé en 1965. Phillipe avait pour projet d’ouvir une boulangerie à Sapporo à Hokkaido. Par la suite il s’est installé à son compte à Ashiya en 1972 près de Kobe. C’etait un homme avec une forte personnalité et son franc parlé était très connu dans le pays. Le matin de sa dispoarition, son décé a été annoncé aux informations nationales et télévisées sur la chaine NHK. Il avait reçu la Légion d’Honneur des mains du président Jacques Chirac. Ma pensée va vers lui en ecrivant ces lignes.
A cette époque l’importation des produits alimentaires étrangers était encore interdit. Donc beaucoup de difficultés pour agrandir la gamme de pâtisserie du magasin. Il aura fallu attendre 1970 et l’exposition Universelle d’OSAKA pour que le pays s’ouvre aux importations. Ce qui nous aura permit d’ouvrir dans le site de l’Expo un petit magasin avec des produits français. Conserves, vins, eaux minérales, Evian, Perrier, Volvic, la moutarde de Dijon, le vinaigre de vin, les bonbons, le nougat, les galette bretonnes etc., …
Et en plus de créer un fournil sur place pour pouvoir fournir en pain et gâteaux tous les restaurants des pavillons étrangers. Ayant trente à quarante milles visiteurs par jour, je n’exagère pas en vous disant que tout se vendait « comme des petit pains ». Et tout, cela pendant 6 mois. Tout cela va vous sembler incroyable vis-à-vis de tout ce que vous trouvez maintenant 50 ans après. Même à cette époque-là, Mc Donald n’existait pas !! Leur premier magasin date de 1971 dans le devant du grand magasin Mitsukoshi a Ginza. Et 6 mois après ils ont dut déménager, car ils faisaient trop de saletés dans la rue avec leur emballages et gobelets vide. Quelques temps après KFC a eu aussi ses problèmes. Leurs odeurs de friture dérangeaient les locataires au-dessus de leurs magasins…
Ma société DONQ a dut faire fortune pendant cette période. Si bien qu’après cette Expo mon patron me demanda de rallonger mon contrat d’une année. Il a l’intention de créer une boulangerie industrielle pour pouvoir fournir tous les grands magasins de Tokyo. Me voila envoyé en Alsace près de Strasbourg chez Mecatherm le fabricant de four tunnel. Il avait choisi un monstre de 4 mètres de large sur 12 mètres de long. Après quelques semaines là-bas, pour me perfectionner. De retour au Japon, nous ouvrons cette boulangerie dans la banlieue de Tokyo. Au fil des mois, la production est arrivée à 25 quintaux de farines pour jour. Comme 1 quintal c’est 100 kilos et qu’avec 1 kilo de farine vous faites 4 batards ou baguettes de 350grammes. Quelle sera la production de pains par jours…
Ce nombre va vous paraitre énorme, mais n’oubliez pas que même a cette époque-là, Tokyo, sa banlieue, Kawasaki et Yokohama représentaient environ 40 millions d’habitants. Donc le pain français, que représente-t-il en grammes par jour et par habitant ? C’est bien moins que les 150 grammes pour un français a cette époque la… Il y a encore de quoi faire !… Ce que mon patron devait penser ! Et cela ne m’a pas étonné. Fin septembre 1971, rebelotte !! « Pierre, je voudrais que tu rallonges ton contrat. J’ai l’intention de monter une biscotterie à Kobe ». Lors de son dernier voyage en France, il avait apprécié ce produit et pensait que les Japonais devaient l’aimer aussi. Rebelotte me revoilà partie en France, cette fois-ci en Normandie, à Granville a la biscotterie Magdeleine. Plusieurs semaines de stage…
De retour au Japon, j’ai dû ouvrir cette usine au début de l’année 1972 a Okanoko Motoyama, près de Hashiya Kobe. Une gamme de produits, biscottes normales, sans sel, aux raisins, pains grilles, etc, … Ces produits étaient dans nos magasins et aussi dans tout le Japon par l’intermédiaire d’un grossiste Toshoku. La biscotte n’aura jamais eu le succès de la baguette hélas ! Et comme l’usine a été détruite par le tremblement de Terre de Kobe. La maison DONQ a arrêté d’en produire !
Je reviens un peu en arrière. Le 14 Juillet 1972, naissance de ma 1ere fille Christine. Eh oui ! Malgré tout le boulot que j’avais je m’étais marie en Juin 1971 avec une demoiselle Japonaise que j’avais connut pendant l’expo d’Osaka. Souvent on m’a posé la question : Pourquoi ce fait-il que tu te sois marié avec une Japonaise ? Je leur répondais toujours : Lorsque que je suis arrive au Japon en 1968, il y avait que 430 français en comptant les enfants. Dont 230 cures et bonnes sœurs. Je n’ai absolument rien contre ces charmantes dames, mais je pense que le Bon Dieu ne serait pas d’accord que j’y touche ! Quand aux cures, ce n’est pas mon genre ! Alors que faites-vous dans cas-là ? En plus elle était catholique. Ce qui est rare ici. Car il y en a que 1 million en tout dans tout le pays. Lorsque j’ai rencontre sa mère pour la première fois, elle ne pas saute au cou, car ici cela ne se fait ! Mais malgré, mon mauvais japonais a cette époque-là, elle a tout de suite compris que je voulais la main de sa fille. Et elle m’a donné tout de suite son accord ! En me faisant comprendre que les filles de Kyushu sont très fortes. Ce dont je me suis aperçu par la suite !
Après la naissance de ma fille, j’ai commencé à me dire qu’il serait peut-être temps de penser à nous ! Allez aux USA maintenant avec un bébé, ce n’était pas évident. Et puis ma femme n’était pas partante non plus. Alors quoi faire ? Ouvrir une boulangerie à mon nom, je n’avais pas les moyens ! Il faut un local au rez-de-chaussée, ce qui coute le plus cher, et beaucoup de matériel !
Un Jour, par hasard en promenant ma fille près de chez nous, en passant devant un building en fin de construction, ma femme découvre une annonce. Un fond de commerce à louer dans un sous-sol de 60 m2 et à un prix raisonnable. Et je ne sais pas pourquoi, cela a fait « Tilt » dans ma tête. Pas question d’ouvrir une boulangerie, mais pourquoi pas un petit bistrot français tout simplement.
A cette époque-là, la cuisine française n’était en vente que dans les hôtels et a un prix qui n’était pas la portée de tous les japonais. Comme j’avais touché aussi à la cuisine pendant mon service militaire, je me suis dis qu’en leur proposant une cuisine familiale, cela devrait leur plaire. Surtout que depuis quelques temps, ils commençaient à voyager en France sur la cote !
Voila comment j’ai ouvert le premier bistro français à Tokyo le 15 Mars 1973. Grace aussi au développement du quartier qui est devenue celui de la mode, j’ai eu tout de suite du succès.
En 1978, j’ouvre la première Crêperie Bretonne dans le quartier de de Daikanyama. Les japonais connaissaient le Sarrazin sous la forme de nouille, du nom de Soba. La crêpe était pour eux un dessert sucré qui était servi uniquement dans les restaurants français des hôtels.
La galette saucisse, fruit de mer, complète a eu du mal à percer ! Il aura fallu 10 ans pour qu’elle devienne plus ou moins populaire grâce aux émissions de télé sur la Normandie, la Bretagne et le fameux Mont Saint-Michel qui est l’un des lieux les plus visité par les touristes japonais en France. Je vous dirais maintenant avec mon expérience, que le Timing joue beaucoup sur le succès d’un commerce ! Ainsi que l’emplacement. Ma crêperie était au 2eme étage, la situation la plus difficile. Le sous-sol était même meilleur. Car les clients ont plus de facilité à descendre qu’à monter. Cela va peut-être vous faire sourire, mais c’est exact.
En 1985, après avoir passé 12 années en sous-sol, sans voir le soleil et la lumière du jour, je décidai de déménager mon bistro dans un autre quartier pas très loin et dans le même arrondissement, Nogizaka. Dans un ancien restaurant situé au rez-de-chaussée et qui avait fait faillite. Celui-ci faisait plus de 100m2 et surtout une façade de 12m long. En faisant quelques travaux, je décidai de créer une terrasse vitrée à la française, pouvant s’ouvrir par beau temps. Après avoir eu quelques difficultés avec le service d’hygiène japonais, j’avais enfin réussi à obtenir le permis de construire. A cette époque, il n’y avait pas de terrasse ouverte pour ainsi dire. J’ai donc eu tout de suite beaucoup de succès, surtout avec la clientèle étrangère. Car ce quartier est celui de toutes les ambassades. En plus comme mon avenue était assez large, on pouvait y stationner facilement. Ce qui n’est plus le cas maintenant, hélas.
J’y suis resté plus de 30 ans, avant de prendre ma retraite. Pendant tout ce temps-là, tout en travaillant en cuisine, je n’ai pas oublié mes premiers amours, la boulange et la Bretagne. J’ai organisé beaucoup de démonstrations, de salons etc., … Et j’ai été le premier entraineur de l’équipe du Japon pour la « Coupe de Monde de la Boulangerie Artisanale » qui se déroule tous les 3 ans à Paris pendant le salon Europain. Apres 3 échecs… pour ma plus grande joie, les Japonais sont devenues pour la première fois champion du monde en 2002. J’avais réalisé mon rêve ! Et depuis, par eux même, ils ont remporté un seconde fois la coupe en 2018. Ce qui explique certainement la qualité et la quantité de boulangeries que vous trouvez maintenant à Tokyo et même dans tout le Japon, du Nord au Sud.
En 50 ans, le pain français est passé de 0.2% à 16% de la production de pains au Japon. La viennoiserie a 40 %, et le pain de mie qui était de 85 % a mon arrivée est descendu maintenant à moins 45%. Vous me direz que le mode de vie des Japonais à bien changé ! La pâtisserie française elle aussi est devenue très populaire. Les Japonais étant des gourmets, très habiles de leur mains, minutieux dans leur travail, ont remporté aussi beaucoup de concours internationaux ! Pour la cuisine, elle reste toujours à un très haut niveau. Cependant beaucoup de petits bistros se sont ouverts après le retour des jeunes cuisiniers qui ont travaillé en stage en France. Comme vous pouvez le penser, mes collègues français et moi-même pouvons qu’être très heureux de ces résultats. Cela n’a pas été toujours facile, mais le résultat est là.
Nous sommes venus peut-être au bon moment, mais je pense que même actuellement, après avoir règlé les problèmes du Covid 19, le Japon repartira d’un bon pied. Et vous aurez encore beaucoup de chance de réussir ! Il ne faut pas oublier que le pays a 120 millions d’habitant et donc beaucoup de bouches à nourrir.
Venez-y avec une bonne expérience dans votre métier pour obtenir facilement un visa de travail. Vous y trouverez la sécurité, ce qui est de plus en plus rare, la propreté, et la gentillesse du peuple Japonais. Bien sur vous aurez la difficulté d’apprendre la langue, comme dans les autres pays. En revanche et pour terminer, Je vous dirai qu’il n’y a pas de place pour les fainéants et les mauvais !
Merci à Jean Marc pour avoir retrouvé toutes ces photos Que je n’ai même pas. Je vous souhaite bonne chance !
Tokyo le 15 Mars 2021
Pierre Prigent
2 Comments
Quelle belle histoire
Bigot – Prigent – Pachon – Bruant
La France doit tant à ces pionniers
“ 430 Francais au japon dont 230 curés et bonnes sœurs”
“ le pain français passé de 0,2% a 16% de part de marché”
Etc…
Bravo
C’est une histoire incroyable !, je savais pas à propos des numéros dans la boulangerie et pâtisserie au Japon, comme les japonais ont peut à peu aprecié la cocine française.
Très intéressant !, merci !.